L’astreinte : attention à la requalification en temps de travail effectif
La satisfaction du client rime souvent avec l’engagement d’une disponibilité et d’une rapidité d’intervention.
En interne, cet engagement se traduit par l’obligation du salarié d’astreinte de répondre ou de se déplacer dans un court délai.
Lorsque le salarié est soumis à des contraintes d’une intensité telle, son temps d’astreinte est susceptible d’être requalifié en temps de travail effectif avec, à la clé, des rappels de salaire et des indemnités.
L’astreinte est la période pendant laquelle il est demandé au salarié, en dehors de son temps de travail, de rester disponible pour intervenir sur place ou à distance si on l’appelle.
Pendant cette période d’astreinte, le salarié doit pouvoir vaquer librement aux activités de son choix, sa seule contrainte étant de rester joignable et prêt à intervenir « au cas où ».
Dans la mesure où le salarié est libre d’occuper son temps, l’astreinte ne constitue pas un temps de travail effectif. Seul son temps d’intervention, s’il intervient, sera comptabilisé comme temps de travail effectif.
Cependant, il arrive que l’astreinte soit assortie de contraintes: court délai imposé pour se rendre sur place, obligation de rester dans les locaux, fréquence d’interventions… remettant sérieusement en cause la faculté du salarié de vaquer librement à ses activités personnelles.
Par un arrêt du 9 mars 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi jugé que l’astreinte est requalifiée en temps de travail effectif lorsque « les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté pour ce dernier de gérer librement, au cours de ces périodes [de garde] le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts » [1].
Faisant application de cette jurisprudence européenne pour un salarié employé par une société de dépannage automobile, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 26 octobre 2022 que le court délai imparti au salarié pour se rendre sur place après l’appel de l’usager est un indice suggérant une contrainte pour le salarié dont l’intensité est de nature à affecter « objectivement et très significativement sa faculté de gérer librement […] le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles » [2].
Dans cette affaire, le dépanneur devait partir sans délai et être sur place dans les 30 minutes.
Ce court délai, associé à la fréquence des dépannages et à leur étalement sur toute la journée (par exemple« de 1h07 à 2h20, de 5h19 à 8h00, de 19h04 à 20h00 et de 20h05 à 21h15 »),a conduit à la requalification de l’astreinte en temps de travail effectif avec toutes les conséquences y attachées :
- rappel de salaire pour heures supplémentaires,
- temps de repos compensateur,
- indemnité pour non-respect de la durée légale maximale de travail,
- dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
- indemnité pour travail dissimulé,
Soit, au total, une condamnation de plus de 260 000 € pour l’employeur [3].
Dans un récent arrêt du 14 mai 2025, la Cour de cassation donne une nouvelle illustration concernant un employé d’un hôtel, tenu de rester dans l’une des chambres pour répondre aux appels des clients pendant la nuit : elle rappelle aux juges du fond leur obligation de mesurer concrètement l’intensité des contraintes imposées à ce salarié [4].
On le voit, la requalification se fait au cas par cas, selon le degré d’intensité des contraintes.
En conclusion, n’hésitez pas à analyser les conditions entourant vos périodes d’astreinte.
[1] CJUE 9 mars 2021, aff C-344/19
[2] Cass. Soc. 26 oct. 2022 pourvoi n°21-14.178
[3] Cour d’appel de Douai 22 décembre 2023 RG n°22/01653
[4] Cass. Soc. 14 mai 2025 pourvoi n°24-14319